SUR LE PONT
저자 : Gueune-Ok JOUH(주근옥)
시집명 : SUR LE PONT
출판(발표)연도 : 2013
출판사 :
SUR LE PONT
Gueune-Ok JOUH
Traduction par Jai-Yong SONG
Le réverbère éclaire
Sur le pont
L’Homme 1 – on le nommera ainsi- s’appuie
Contre le plateau
Un autre L’Homme 2 s’approche
En baragouinant
Et s’affaisse tout d’un coup
Il balbutie
Ça tape
Il enlève le veston en disant
Voici qu’il pleut
Qu’il pleuve qu’il pleuve à verse !
Il prend une cigarette dans la boîte
Et demande du feu
A l’Homme 1
Celui-ci tire la main de sa poche
Et donne du feu avec un briquet
A l’Homme 2
Où habitez-vous ?
Maintenant trop d’inspections imprévues
Les suspects doivent être arrêtés sur-le-champ
J’ai été moi aussi arrêté hier
Pas de chance mais je n’ai pas peur
Mais c’est vexant de se voir contrôler
Peut-être c’est à cause
De cette affaire terrible
Qu’est-ce que c’était cette affaire ?
Ah vous ne savez pas ?
Je viens d’arriver ici
Il hoche la tête
Ah oui d’accord
Il lui dit d’un ton convaincant
Un corps a été trouvé sans tête
Le cou a été coupé
Les doigts aussi
Ni carte d’identité ni témoin
Le criminel a disparu en plein brouillard
Il s’appuie doucement contre le poteau
Il semble être dos à dos avec l’Homme 1
Rire aux lèvres
Il ouvre la bouche
C’était une femme
Ou plutôt une jeune fille
Ses seins et ses fesses si souples
Et sa peau si tendre
Comment distinguer une dame et d’une jeune fille ?
Hé hé votre question est fort amusante
Voulez–vous fumer ?
Il sort la boîte de sa poche
Et met une cigarette entre ses lèvres
Vous n’entrez pas chez vous ?
Je passerai la nuit comme ça
Vous semblez avoir quelque chose
Qui vous chagrine
Etes-vous marié ?
Imaginez ce que vous voulez
Avez-vous des enfants ?
Dites ce que vous voulez
Ah je pense que je vous dérange
L’Homme 1 tourne la tête
Quel est votre pays natal ?
Mais le pays natal ça n’importe pas
Si le pays natal ça importe
Vous voulez dire néanmoins que non !
Là-bas c’est un monde passager
Quelle étrange réponse que celle-ci !
D’après l’accent vous n’êtes pas originaire
De Gueng-Sang-Do ni de Jeun-Ra-Do
Avez-vous des parents près d’ici ?
Je suis seul un parfait orphelin
Il tend sa valise devant lui et dit
C’est tout ce que j’ai sur moi à présent
Un vrai orphelin perdu
Voulez-vous dormir ici ?
Ne vous en faites pas
Des nuages noirs se pressent autour de nos têtes
Partagez vos soucis
Avec votre femme chez vous
Ah vous voulez me conseiller
De caresser ma femme sur les fesses
Tapez ou caressez selon votre goût
Vous voulez toujours plaisanter
Il tourne doucement
Autour de l’Homme 1
Moi j’ai un sixième sens
Que les Dieux mêmes envient
Et à vous voir ……
Comment alors
Demande-t-il l’esprit tendu
L’Homme 1 tourne encore en rond
Les yeux pleins d’angoisse
Gestes de tourment
D’inquiétude aussi
L’Homme 1 prend l’Homme 2 par le cou
Et alors ?
Monsieur arrêtez s’il vous plaît
Et parlons à cœur ou vert
Vous voulez dire quoi ?
Il dit assurément
Vous allez vous tuer non ?
Il le pousse par le cou
Manque de chance !
Monsieur vous allez échanger
Votre vie si noble contre la mort ?
La vie ne mérite pas d’être noble
Ce n’est qu’un poisson corrompu
Complètement corrompu
Il exhale une odeur insupportable
L’Homme 1 pousse sa valise en avant
L’autre se retire
Ah non ! laissez-moi tranquille !
Quelle heure est-il ?
Pas de réponse
Le dernier train est passé
Ma femme est allée chez ses parents
Elle a changé elle ne reviendra pas
L’Homme 1 regarde en bas
Appuyé sur la rambarde
L’Homme 2 le regarde attentivement
Il va certainement se tuer
L’autre jour mon apprenti a tenté la même chose
Mais alors nul accident n’est arrivé
Je l’ai rattrapé en le prenant par le cou
Mais ça n’ira pas comme ça
La vie est difficile à vivre
Autant mourir
L’Homme 1 se penche pour regarder
la rivière au dessous
L’Homme 2 le suit d’un pas pressé
Monsieur fuyez ! fuyez le danger !
L’Homme 1 se trouve toujours incliné
On dirait qu’il est sourd
Il a froid au dos
Monsieur avez-vous perdu l’esprit ?
Il regarde par-dessous le pont
Une profondeur infinie
Oh là là !
Il dessine un rond de la tête au-dessus
Peut-être que sa tête tourne
L’Homme 1 ne bouge point
Celui-là est très bizarre
L’Homme 2 se tourne vers l’Homme 1
Ca ne me regarde pas
Même si vous tombez dans la rivière infernale
Je ne veux pas regarder sournoisement
Je ne parle pas pour vous nuire
Donc ayez de la patience s’il vous plaît
Il lui reproche en le montrant du doigt
Têtu comme une mule !
En se retournant il dit d’un ton bourru
Laisse-le faire !
L’Homme 2 s’avance
Et jette un regard distrait au ciel
Il va et vient d’un air inquiet
L’Homme 2 avance
Et tape le dos de l’Homme 2
L’Homme 2 dit surpris soudainement
Calmez-vous s’il vous plaît
Il lui tend la boîte de cigarettes
L’Homme 2 en prend une et dit
Vous êtes vraiment gentil
Pensez-vous ?
Ils échangent des rires insignifiants
L’Homme 2 prend la valise
Et la montre à l’Homme 2 en disant
Là-dedans il y a toute ma vie
Alors en jetant cette valise
Je mets un point final à mon passé insolite
Loin d’être convaincu l’Homme 2 balbutie
C’est une énigme qu’il raconte
Mais enfin comme s’il l’eût compris
Il lui dit d’abandonner la valise
Puisqu’elle est trop usée
Et achetez-vous en une autre qui soit superbe !
Merci !
Ça fait rien
Vous habitez loin ? Vous êtes arrivé retard
L’Homme 2 désigne une direction du doigt
Si vous allez à gauche de la gare pendant cinq minutes
Vous trouverez une boucherie à travers le viaduc
Ce boucher-là qu’on appelle Tchenne a gagné pas mal d’argent
Et derrière de location se trouve ma maison
Une maison que je loue mais c’est un paradis quand même
Ma femme n’est pas là en ce moment
L’Homme 1 baille
Ma femme s’est fait avorter
A quoi un enfant sert-il?
Ce qui est nécessaire c’est l’argent
De toute façon nous sommes heureux
Quel bonheur conjugal !
L’Homme 1 se tient contre le poteau
L’Homme 2 s’approche et dit
Ses yeux sont écarquillés
Et aussi mouillés
Ses seins sont tendus
Que c’est naturel !
Puisqu’elle n’a jamais allaité d’enfant
D’ailleurs c’est moi qui les ai sucés
Jugeant que l’Homme 1 ne veut pas entendre
Il lui demande si son discours l’ennuie
L’Homme 1 répond que c’est intéressant
Allez-y ! continuez !
Mais vous ne m’écoutiez pas !
Voulez-vous que je bavarde tout seul ?
Voyez mes oreilles sont tout ouvertes pour vous entendre
Animé de nouveau
Il éclate de rire et dit
Ah comme vous êtes intelligent !
Mais le monde ne va pas facilement
Je vous dis que votre intelligence est inadmissible
Soyez un peu plus aimable
Soyez un peu plus lâche
Quel est votre métier ?
Le métier ça n’importe pas beaucoup
L’Homme 1 tape l’Homme 2 sur l’épaule
Oui c’est vrai
Le métier n’a pas de classes
Ce qui importe c’est l’orgueil
Je suis fonctionnaire à la mairie
Je m’occupe des formalités concernant l’état civil
C’est pour ça que je ne sais pas mal de choses
Ecoutez par exemple c’est très intéressant
Autre fois une jeune femme de vingt-six à vingt-sept ans
S’est présentée pour demander un extrait de naissance
Elle était plutôt belle
Elle avait une petite tache noire sous l’œil gauche
Elle avait aussi des faussettes aux creux des joues
Disons franchement
Oui je veux vous parler franchement
J’avais envie de l’embrasser
Et il fait semblant de l’embrasser
Je vous dis toujours la vérité
Vous êtes trop affectif et sournois
Non vous n’êtes pas tellement sournois
Elle s’est mariée sans doute
Selon l’Etat Civil
Ah comme vous êtes idiot !
Alors il faudra se renseigner
Auprès de l’Etat Civil de la famille du mari
Mais cette femme-là a sauté de colère
Elle s’est déclarée non mariée
Elle s’est déclarée vierge et vierge pure
Mariée sur le papier
Mais non mariée en réalité
La destinée d’une femme
Pouvait-elle ainsi dépendre du bout d’un stylo ?
Oui c’est possible
Pensez-vous ?
C’est vrai n’y pensez plus !
Retournez chez vous
Votre épouse doit vous attendre
Ma femme ?
Je l’ai chassée chez ses parents
Ces jours-ci les femmes sont imprudentes
Elles vont chez leurs parents à la moindre occasion
Et pour le moindre prétexte
Elles ne pensent toujours qu’à sortir de leurs maisons
Donc j’ai congédiée ma femme !
Mais elle m’a fait savoir
Qu’elle arriverait par le dernier train ce soir
Le dernier train n’est-il pas encore passé ?
Elle ne viendra pas ce soir
Allons ensemble chez moi
Nul attendra pour vous recevoir
Merci mais je voudrais rester ici tout seul
Et c’est mon principe
De ne rien devoir à autrui
Ne réagissez pas comme ça
C’est assez simple
Je fais ça pour vous par simple gentillesse
C’est impoli de ne pas respecter la gentillesse
C’est la vérité n’est-ce pas ?
Il hausse le ton et dit
Allez-vous en avec votre vérité !
L’Homme 2 en est stupéfait
L’Homme 1 regarde le ciel
Connaissez-vous cette femme-là ?
Voulez-vous dire la femme
Qui est enregistrée mariée sur l’Etat Civil
Mais qui est réellement non mariée ?
Il questionne d’un air méfiant
La connaissez-vous par hasard ?
Pas de réponse
Soit ……
Ah non !
Il hoche la tête
L’Homme 1 change de conversation
Etes-vous marié ?
Oui je suis marié
Mais ma femme n’a pas d’importance
Car la femme d’autrui peut être la mienne aussi
Quand je couche avec elle
Ah oui vous dites la vérité
Maintenant vous êtes digne de dire la vérité
J’ai confiance en vous
Pour me confesser devant vous
Mon père était boucher de viande canine
Notre arrière-cour était un lieu d’exécution
Mon père tirait férocement des chiens
Par la corde attachée au cou
Pauvres chiens qui chiaient sous eux!
Pauvres chiens qui se débattaient sans force
Leurs yeux pleins de malédiction
Leurs langues pendantes hors la gueule
J’ai vu tout cela quotidiennement
Mes camarades se moquaient de moi
D’être le fils d’un boucher de chien
J’ai abandonné en route
Mes études au collège
J’ai quitté la maison paternelle
J’ai entamé une vie de pick pocket
Après avoir volé de l’argent
J’ai souvent couché avec des femmes
Et je me rappelle entre autres cette femme
Qui pleurnichait malgré elle
Elle m’a dit qu’elle avait été maltraitée
Par sa belle-mère
Elle avait dit un éternel adieu à son père
Pauvre femme !
Je lui ai offert tout ce que j’avais gagné
Ah je ne savais pas
Ce que c’est que les femmes !
C’était mon premier amour
C’est ridicule mais je l’aimais
Je pleurais de pitié
Quand je ne la voyais pas pendant une journée
J’ai senti la douleur d’avoir tout perdu
Mais ce qui est arrivé la prochaine !
On est tombé mal
Je suis emmené en prison
Ah ce n’est pas chose rare parmi nous
Mais quand je suis sorti de là
Elle avait disparu sans trace
Cette garce-là m’avait planté
Il tourne soudainement la tête et demande
Savez-vous qui je suis ?
Je suis le fils même de ce boucher de chien
Je viens déverser en flots
Dix ans de ma vie
Brièvement en quelques mots
Je comprends que vous m’avez ouvert votre cœur
Oubliez votre femme !
Vous pourrez vous marier encore !
Quand vous couchez avec une femme
Elle est certainement la vôtre
Puisque j’ai commencé à parler
Je vous avouerai franchement
Que j’ai couché avec cette femme-là
Mariée sur l’Etat civil
Mais non mariée en réalité
C’était elle ma femme !
L’autre d’un air surpris lui demande
Ah c’est vous-même ?
On a couché une fois et deux fois
Ainsi de suite
Enfin on s’est lié par l’amour passionné
Comme c’est effroyable l’amour passion!
L’Homme 1 éclate de rire follement
Ah votre femme ! elle est aussi la mienne !
Enchanté de vous rencontrer !
L’homme 2 interroge
Quoi ? votre femme en même temps que la mienne ?
Vous ne me croyez pas ?
Si je vous crois volontiers
Je crois que vous ne mentez pas
Mais ne pouvant pas croire au fond
Il lui demande encore
Dites-vous la vérité ?
Si je ne veux pas porter plainte contre elle
Pour adultère
C’est qu’elle n’est pas ma femme légale
Elle s’était déjà mariée
Avant de me rencontrer
Ensuite menée par les désires adultères
Elle a abandonné la vie conjugale
Pour vivre avec moi
Et pendant mon absence
Elle était votre femme
N’y pouvant croire l’Homme 1 dit
Non ce n’est pas vrai
Ma femme ne m’a jamais trahi
Je vous dis qu’elle n’est pas votre femme
Si si elle est ma femme
Vous vous êtes trompé elle est ma femme
Jamais ! elle est ma femme
Non jamais !
Non jamais !
Je vous répète qu’elle est mon épouse
Ah Ben ! alors voulez-vous dire
Que vous l’avez eue légalement ?
Mais vous ne l’avez eue légalement
Vous non plus !
De toute façon elle est ma femme
D’accord !
Bien ! allons lui demander ce qui est arrivé
D’accord !
Ils se regardent face à face
Un doute indéniable plane sur eux
Peut-être qu’elle est déjà partie
Dans une autre direction
Alors ? nous voilà !
Oui c’est possible !
Non ce n’est jamais possible !
Voulez-vous me tromper ?
Mais vous ne le pouvez pas
Par vos paroles sournoises
Ma femme viendra-t-elle quand même
Ne l’appelez pas votre femme
Le dernier train est déjà passé
Elle arrivera peut-être
Dans le premier train du matin
Si elle n’arrive pas dans le premier train ?
Alors elle arrivera dans le prochain
Si elle n’arrive non plus dans le prochain ?
Alors sans doute dans le prochain après prochain
Vous vous moquez de moi !
Voilà une parole absurde !
On doit attendre jusqu’au bout
Je vais vous laisser donc
Le résultat se devine déjà clairement
Vous y renoncez maintenant ?
Ce n’est pas cela je suis trop pressé
Pour passer du temps à ne rien faire
Nous nous verrons pour la juger
Quand elle arrivera dans quelques jours
C’est raisonnable
D’accord je veux bien
Ca va pour dimanche prochain ?
On se verra ici et juste à cette heure non ?
C’est ici la frontière des deux mondes
Des vivants et des morts
L’Homme 1 se retourne de nouveau
Je m’excuse de vous laisser cette valise
Pourquoi à moi ? Jetez-la !
Mais elle est trop précieuse pour être jetée !
Me charger de votre valise
C’est me faire garder toute votre vie !
Excusez-moi
En tout cas je vous laisse cette valise
Il hésite et la prend
L’Homme 1 disparaît promptement
L’Homme 2 le regarde distraitement
Et s’écrie sur son dos
Quelle bête cinglée !
Tu soutiens avoir des droits sur ma femme !
Sale voleur !
Il se dirige vers le réverbère
Il secoue la tête attentivement
Il ouvre la valise soigneusement
Et pousse un cri de surprise
En tressaillant d’effroi
Il devient presque cadavre
Qu’est-ce que je peux faire ?
Ce salaud m’a laissé la tête coupée d’une femme !
Il prend la valise des deux main
Il va et vient sous le réverbère
Il a perdu l’esprit
Enfin il jette la valise dans la rivière
Il recule petit à petit pour s’enfuir
Le réverbère reste tout seul comme avant
Avant-propos
Ce recueil de poésie est fondée sur S+7(substantif + septième de Harmonie) de Jean Lescure et sémiotique d'Algirdas Julien Greimas. Par conséquent elle est également sur Phoria avec Aporia. C'est-à-dire, c'est poésie de la valence qui est interaction d'induction avec la déduction, et de perception avec la catégorie thymique. Il est comme le minimalisme ou l'OuLiPo. Cette action discursive est montrée sur la mise en scène, il sera interprétée globalement par des lecteurs.
Gueune-ok JOUH
Gueune-Ok JOUH, né en Corée, a fait ses études à l’Université de Chung-Nam et soutenu une thèse de doctorat: L’étude de la modernité dans la poésie moderne coréenne, à l’Université de Daejeon. Il est reconnu surtout comme poète qui recherche la possibilité de la nouvelle poésie épique. Il a publié de nombreux recueils de poèmes: Le crépuscule sur le dos, Le tonnerre et la rose et Pour désherber. Il a été instructeur de l'Université de Daejeon.
Jai-Yong SONG, traducteur de Sur les roues et Sur le pont de Gueune-Ok JOUH, a fait ses études de langue et littérature françaises à l’Université de Séoul et soutenu une thèse de doctorat à l’Université Paul Valéry Montpellier III. Ses travaux principaux portent sur les recherches de la critique littéraire française. Il a traduit également en coréen de nombreux ouvrages littéraires françaises, notamment de Hugo, Apollinaire, Breton, Maurois, etc. Il est professeur honoré à l’université de Chung-Nam.
http://www.illustrer.net/
Gueune-Ok JOUH
Traduction par Jai-Yong SONG
Le réverbère éclaire
Sur le pont
L’Homme 1 – on le nommera ainsi- s’appuie
Contre le plateau
Un autre L’Homme 2 s’approche
En baragouinant
Et s’affaisse tout d’un coup
Il balbutie
Ça tape
Il enlève le veston en disant
Voici qu’il pleut
Qu’il pleuve qu’il pleuve à verse !
Il prend une cigarette dans la boîte
Et demande du feu
A l’Homme 1
Celui-ci tire la main de sa poche
Et donne du feu avec un briquet
A l’Homme 2
Où habitez-vous ?
Maintenant trop d’inspections imprévues
Les suspects doivent être arrêtés sur-le-champ
J’ai été moi aussi arrêté hier
Pas de chance mais je n’ai pas peur
Mais c’est vexant de se voir contrôler
Peut-être c’est à cause
De cette affaire terrible
Qu’est-ce que c’était cette affaire ?
Ah vous ne savez pas ?
Je viens d’arriver ici
Il hoche la tête
Ah oui d’accord
Il lui dit d’un ton convaincant
Un corps a été trouvé sans tête
Le cou a été coupé
Les doigts aussi
Ni carte d’identité ni témoin
Le criminel a disparu en plein brouillard
Il s’appuie doucement contre le poteau
Il semble être dos à dos avec l’Homme 1
Rire aux lèvres
Il ouvre la bouche
C’était une femme
Ou plutôt une jeune fille
Ses seins et ses fesses si souples
Et sa peau si tendre
Comment distinguer une dame et d’une jeune fille ?
Hé hé votre question est fort amusante
Voulez–vous fumer ?
Il sort la boîte de sa poche
Et met une cigarette entre ses lèvres
Vous n’entrez pas chez vous ?
Je passerai la nuit comme ça
Vous semblez avoir quelque chose
Qui vous chagrine
Etes-vous marié ?
Imaginez ce que vous voulez
Avez-vous des enfants ?
Dites ce que vous voulez
Ah je pense que je vous dérange
L’Homme 1 tourne la tête
Quel est votre pays natal ?
Mais le pays natal ça n’importe pas
Si le pays natal ça importe
Vous voulez dire néanmoins que non !
Là-bas c’est un monde passager
Quelle étrange réponse que celle-ci !
D’après l’accent vous n’êtes pas originaire
De Gueng-Sang-Do ni de Jeun-Ra-Do
Avez-vous des parents près d’ici ?
Je suis seul un parfait orphelin
Il tend sa valise devant lui et dit
C’est tout ce que j’ai sur moi à présent
Un vrai orphelin perdu
Voulez-vous dormir ici ?
Ne vous en faites pas
Des nuages noirs se pressent autour de nos têtes
Partagez vos soucis
Avec votre femme chez vous
Ah vous voulez me conseiller
De caresser ma femme sur les fesses
Tapez ou caressez selon votre goût
Vous voulez toujours plaisanter
Il tourne doucement
Autour de l’Homme 1
Moi j’ai un sixième sens
Que les Dieux mêmes envient
Et à vous voir ……
Comment alors
Demande-t-il l’esprit tendu
L’Homme 1 tourne encore en rond
Les yeux pleins d’angoisse
Gestes de tourment
D’inquiétude aussi
L’Homme 1 prend l’Homme 2 par le cou
Et alors ?
Monsieur arrêtez s’il vous plaît
Et parlons à cœur ou vert
Vous voulez dire quoi ?
Il dit assurément
Vous allez vous tuer non ?
Il le pousse par le cou
Manque de chance !
Monsieur vous allez échanger
Votre vie si noble contre la mort ?
La vie ne mérite pas d’être noble
Ce n’est qu’un poisson corrompu
Complètement corrompu
Il exhale une odeur insupportable
L’Homme 1 pousse sa valise en avant
L’autre se retire
Ah non ! laissez-moi tranquille !
Quelle heure est-il ?
Pas de réponse
Le dernier train est passé
Ma femme est allée chez ses parents
Elle a changé elle ne reviendra pas
L’Homme 1 regarde en bas
Appuyé sur la rambarde
L’Homme 2 le regarde attentivement
Il va certainement se tuer
L’autre jour mon apprenti a tenté la même chose
Mais alors nul accident n’est arrivé
Je l’ai rattrapé en le prenant par le cou
Mais ça n’ira pas comme ça
La vie est difficile à vivre
Autant mourir
L’Homme 1 se penche pour regarder
la rivière au dessous
L’Homme 2 le suit d’un pas pressé
Monsieur fuyez ! fuyez le danger !
L’Homme 1 se trouve toujours incliné
On dirait qu’il est sourd
Il a froid au dos
Monsieur avez-vous perdu l’esprit ?
Il regarde par-dessous le pont
Une profondeur infinie
Oh là là !
Il dessine un rond de la tête au-dessus
Peut-être que sa tête tourne
L’Homme 1 ne bouge point
Celui-là est très bizarre
L’Homme 2 se tourne vers l’Homme 1
Ca ne me regarde pas
Même si vous tombez dans la rivière infernale
Je ne veux pas regarder sournoisement
Je ne parle pas pour vous nuire
Donc ayez de la patience s’il vous plaît
Il lui reproche en le montrant du doigt
Têtu comme une mule !
En se retournant il dit d’un ton bourru
Laisse-le faire !
L’Homme 2 s’avance
Et jette un regard distrait au ciel
Il va et vient d’un air inquiet
L’Homme 2 avance
Et tape le dos de l’Homme 2
L’Homme 2 dit surpris soudainement
Calmez-vous s’il vous plaît
Il lui tend la boîte de cigarettes
L’Homme 2 en prend une et dit
Vous êtes vraiment gentil
Pensez-vous ?
Ils échangent des rires insignifiants
L’Homme 2 prend la valise
Et la montre à l’Homme 2 en disant
Là-dedans il y a toute ma vie
Alors en jetant cette valise
Je mets un point final à mon passé insolite
Loin d’être convaincu l’Homme 2 balbutie
C’est une énigme qu’il raconte
Mais enfin comme s’il l’eût compris
Il lui dit d’abandonner la valise
Puisqu’elle est trop usée
Et achetez-vous en une autre qui soit superbe !
Merci !
Ça fait rien
Vous habitez loin ? Vous êtes arrivé retard
L’Homme 2 désigne une direction du doigt
Si vous allez à gauche de la gare pendant cinq minutes
Vous trouverez une boucherie à travers le viaduc
Ce boucher-là qu’on appelle Tchenne a gagné pas mal d’argent
Et derrière de location se trouve ma maison
Une maison que je loue mais c’est un paradis quand même
Ma femme n’est pas là en ce moment
L’Homme 1 baille
Ma femme s’est fait avorter
A quoi un enfant sert-il?
Ce qui est nécessaire c’est l’argent
De toute façon nous sommes heureux
Quel bonheur conjugal !
L’Homme 1 se tient contre le poteau
L’Homme 2 s’approche et dit
Ses yeux sont écarquillés
Et aussi mouillés
Ses seins sont tendus
Que c’est naturel !
Puisqu’elle n’a jamais allaité d’enfant
D’ailleurs c’est moi qui les ai sucés
Jugeant que l’Homme 1 ne veut pas entendre
Il lui demande si son discours l’ennuie
L’Homme 1 répond que c’est intéressant
Allez-y ! continuez !
Mais vous ne m’écoutiez pas !
Voulez-vous que je bavarde tout seul ?
Voyez mes oreilles sont tout ouvertes pour vous entendre
Animé de nouveau
Il éclate de rire et dit
Ah comme vous êtes intelligent !
Mais le monde ne va pas facilement
Je vous dis que votre intelligence est inadmissible
Soyez un peu plus aimable
Soyez un peu plus lâche
Quel est votre métier ?
Le métier ça n’importe pas beaucoup
L’Homme 1 tape l’Homme 2 sur l’épaule
Oui c’est vrai
Le métier n’a pas de classes
Ce qui importe c’est l’orgueil
Je suis fonctionnaire à la mairie
Je m’occupe des formalités concernant l’état civil
C’est pour ça que je ne sais pas mal de choses
Ecoutez par exemple c’est très intéressant
Autre fois une jeune femme de vingt-six à vingt-sept ans
S’est présentée pour demander un extrait de naissance
Elle était plutôt belle
Elle avait une petite tache noire sous l’œil gauche
Elle avait aussi des faussettes aux creux des joues
Disons franchement
Oui je veux vous parler franchement
J’avais envie de l’embrasser
Et il fait semblant de l’embrasser
Je vous dis toujours la vérité
Vous êtes trop affectif et sournois
Non vous n’êtes pas tellement sournois
Elle s’est mariée sans doute
Selon l’Etat Civil
Ah comme vous êtes idiot !
Alors il faudra se renseigner
Auprès de l’Etat Civil de la famille du mari
Mais cette femme-là a sauté de colère
Elle s’est déclarée non mariée
Elle s’est déclarée vierge et vierge pure
Mariée sur le papier
Mais non mariée en réalité
La destinée d’une femme
Pouvait-elle ainsi dépendre du bout d’un stylo ?
Oui c’est possible
Pensez-vous ?
C’est vrai n’y pensez plus !
Retournez chez vous
Votre épouse doit vous attendre
Ma femme ?
Je l’ai chassée chez ses parents
Ces jours-ci les femmes sont imprudentes
Elles vont chez leurs parents à la moindre occasion
Et pour le moindre prétexte
Elles ne pensent toujours qu’à sortir de leurs maisons
Donc j’ai congédiée ma femme !
Mais elle m’a fait savoir
Qu’elle arriverait par le dernier train ce soir
Le dernier train n’est-il pas encore passé ?
Elle ne viendra pas ce soir
Allons ensemble chez moi
Nul attendra pour vous recevoir
Merci mais je voudrais rester ici tout seul
Et c’est mon principe
De ne rien devoir à autrui
Ne réagissez pas comme ça
C’est assez simple
Je fais ça pour vous par simple gentillesse
C’est impoli de ne pas respecter la gentillesse
C’est la vérité n’est-ce pas ?
Il hausse le ton et dit
Allez-vous en avec votre vérité !
L’Homme 2 en est stupéfait
L’Homme 1 regarde le ciel
Connaissez-vous cette femme-là ?
Voulez-vous dire la femme
Qui est enregistrée mariée sur l’Etat Civil
Mais qui est réellement non mariée ?
Il questionne d’un air méfiant
La connaissez-vous par hasard ?
Pas de réponse
Soit ……
Ah non !
Il hoche la tête
L’Homme 1 change de conversation
Etes-vous marié ?
Oui je suis marié
Mais ma femme n’a pas d’importance
Car la femme d’autrui peut être la mienne aussi
Quand je couche avec elle
Ah oui vous dites la vérité
Maintenant vous êtes digne de dire la vérité
J’ai confiance en vous
Pour me confesser devant vous
Mon père était boucher de viande canine
Notre arrière-cour était un lieu d’exécution
Mon père tirait férocement des chiens
Par la corde attachée au cou
Pauvres chiens qui chiaient sous eux!
Pauvres chiens qui se débattaient sans force
Leurs yeux pleins de malédiction
Leurs langues pendantes hors la gueule
J’ai vu tout cela quotidiennement
Mes camarades se moquaient de moi
D’être le fils d’un boucher de chien
J’ai abandonné en route
Mes études au collège
J’ai quitté la maison paternelle
J’ai entamé une vie de pick pocket
Après avoir volé de l’argent
J’ai souvent couché avec des femmes
Et je me rappelle entre autres cette femme
Qui pleurnichait malgré elle
Elle m’a dit qu’elle avait été maltraitée
Par sa belle-mère
Elle avait dit un éternel adieu à son père
Pauvre femme !
Je lui ai offert tout ce que j’avais gagné
Ah je ne savais pas
Ce que c’est que les femmes !
C’était mon premier amour
C’est ridicule mais je l’aimais
Je pleurais de pitié
Quand je ne la voyais pas pendant une journée
J’ai senti la douleur d’avoir tout perdu
Mais ce qui est arrivé la prochaine !
On est tombé mal
Je suis emmené en prison
Ah ce n’est pas chose rare parmi nous
Mais quand je suis sorti de là
Elle avait disparu sans trace
Cette garce-là m’avait planté
Il tourne soudainement la tête et demande
Savez-vous qui je suis ?
Je suis le fils même de ce boucher de chien
Je viens déverser en flots
Dix ans de ma vie
Brièvement en quelques mots
Je comprends que vous m’avez ouvert votre cœur
Oubliez votre femme !
Vous pourrez vous marier encore !
Quand vous couchez avec une femme
Elle est certainement la vôtre
Puisque j’ai commencé à parler
Je vous avouerai franchement
Que j’ai couché avec cette femme-là
Mariée sur l’Etat civil
Mais non mariée en réalité
C’était elle ma femme !
L’autre d’un air surpris lui demande
Ah c’est vous-même ?
On a couché une fois et deux fois
Ainsi de suite
Enfin on s’est lié par l’amour passionné
Comme c’est effroyable l’amour passion!
L’Homme 1 éclate de rire follement
Ah votre femme ! elle est aussi la mienne !
Enchanté de vous rencontrer !
L’homme 2 interroge
Quoi ? votre femme en même temps que la mienne ?
Vous ne me croyez pas ?
Si je vous crois volontiers
Je crois que vous ne mentez pas
Mais ne pouvant pas croire au fond
Il lui demande encore
Dites-vous la vérité ?
Si je ne veux pas porter plainte contre elle
Pour adultère
C’est qu’elle n’est pas ma femme légale
Elle s’était déjà mariée
Avant de me rencontrer
Ensuite menée par les désires adultères
Elle a abandonné la vie conjugale
Pour vivre avec moi
Et pendant mon absence
Elle était votre femme
N’y pouvant croire l’Homme 1 dit
Non ce n’est pas vrai
Ma femme ne m’a jamais trahi
Je vous dis qu’elle n’est pas votre femme
Si si elle est ma femme
Vous vous êtes trompé elle est ma femme
Jamais ! elle est ma femme
Non jamais !
Non jamais !
Je vous répète qu’elle est mon épouse
Ah Ben ! alors voulez-vous dire
Que vous l’avez eue légalement ?
Mais vous ne l’avez eue légalement
Vous non plus !
De toute façon elle est ma femme
D’accord !
Bien ! allons lui demander ce qui est arrivé
D’accord !
Ils se regardent face à face
Un doute indéniable plane sur eux
Peut-être qu’elle est déjà partie
Dans une autre direction
Alors ? nous voilà !
Oui c’est possible !
Non ce n’est jamais possible !
Voulez-vous me tromper ?
Mais vous ne le pouvez pas
Par vos paroles sournoises
Ma femme viendra-t-elle quand même
Ne l’appelez pas votre femme
Le dernier train est déjà passé
Elle arrivera peut-être
Dans le premier train du matin
Si elle n’arrive pas dans le premier train ?
Alors elle arrivera dans le prochain
Si elle n’arrive non plus dans le prochain ?
Alors sans doute dans le prochain après prochain
Vous vous moquez de moi !
Voilà une parole absurde !
On doit attendre jusqu’au bout
Je vais vous laisser donc
Le résultat se devine déjà clairement
Vous y renoncez maintenant ?
Ce n’est pas cela je suis trop pressé
Pour passer du temps à ne rien faire
Nous nous verrons pour la juger
Quand elle arrivera dans quelques jours
C’est raisonnable
D’accord je veux bien
Ca va pour dimanche prochain ?
On se verra ici et juste à cette heure non ?
C’est ici la frontière des deux mondes
Des vivants et des morts
L’Homme 1 se retourne de nouveau
Je m’excuse de vous laisser cette valise
Pourquoi à moi ? Jetez-la !
Mais elle est trop précieuse pour être jetée !
Me charger de votre valise
C’est me faire garder toute votre vie !
Excusez-moi
En tout cas je vous laisse cette valise
Il hésite et la prend
L’Homme 1 disparaît promptement
L’Homme 2 le regarde distraitement
Et s’écrie sur son dos
Quelle bête cinglée !
Tu soutiens avoir des droits sur ma femme !
Sale voleur !
Il se dirige vers le réverbère
Il secoue la tête attentivement
Il ouvre la valise soigneusement
Et pousse un cri de surprise
En tressaillant d’effroi
Il devient presque cadavre
Qu’est-ce que je peux faire ?
Ce salaud m’a laissé la tête coupée d’une femme !
Il prend la valise des deux main
Il va et vient sous le réverbère
Il a perdu l’esprit
Enfin il jette la valise dans la rivière
Il recule petit à petit pour s’enfuir
Le réverbère reste tout seul comme avant
Avant-propos
Ce recueil de poésie est fondée sur S+7(substantif + septième de Harmonie) de Jean Lescure et sémiotique d'Algirdas Julien Greimas. Par conséquent elle est également sur Phoria avec Aporia. C'est-à-dire, c'est poésie de la valence qui est interaction d'induction avec la déduction, et de perception avec la catégorie thymique. Il est comme le minimalisme ou l'OuLiPo. Cette action discursive est montrée sur la mise en scène, il sera interprétée globalement par des lecteurs.
Gueune-ok JOUH
Gueune-Ok JOUH, né en Corée, a fait ses études à l’Université de Chung-Nam et soutenu une thèse de doctorat: L’étude de la modernité dans la poésie moderne coréenne, à l’Université de Daejeon. Il est reconnu surtout comme poète qui recherche la possibilité de la nouvelle poésie épique. Il a publié de nombreux recueils de poèmes: Le crépuscule sur le dos, Le tonnerre et la rose et Pour désherber. Il a été instructeur de l'Université de Daejeon.
Jai-Yong SONG, traducteur de Sur les roues et Sur le pont de Gueune-Ok JOUH, a fait ses études de langue et littérature françaises à l’Université de Séoul et soutenu une thèse de doctorat à l’Université Paul Valéry Montpellier III. Ses travaux principaux portent sur les recherches de la critique littéraire française. Il a traduit également en coréen de nombreux ouvrages littéraires françaises, notamment de Hugo, Apollinaire, Breton, Maurois, etc. Il est professeur honoré à l’université de Chung-Nam.
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